Commission santé et protection sociale du Parti communiste français

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Soirée du 2 octobre pour les 70 ans de la Sécurité sociale - intervention de Frédéric Rauch, rédacteur en chef de la revue Economie et Politique

 

Reprendre l'offensive révolutionnaire de ses fondateurs

 

Lorsque fût créée en octobre 1945 la sécurité sociale, Ambroize Croizat, Ministre communiste, et Pierre Laroque, son directeur de cabinet, avaient une double ambition. Il s'agissait, en respectant scrupuleusement l'esprit du programme défini par la Conseil national de la Résistance pendant l'Occupation, d'une part, de répondre au besoin de justice sociale dans la France d'après-guerre en dépassant les insuffisances des législations sociales antérieures (ROP, législations familles, …) par une nouvelle législation prenant en charge l'ensemble des besoins sociaux de tous les français, et d'autre part, de faire de cette nouvelle législation sociale un outil de la reconstruction économique du pays en assurant une efficacité productive et sociale nouvelle, à partir de la richesse créée dans l'entreprise.

Deux objectifs ont donc travaillé l'action du gouvernement d'alors : l'unicité du système et de son mode de financement, et faire du financement du système une prise sur les profits de l'entreprise assurée par la maîtrise par les travailleurs de ce nouvelle outil social.

L'unicité du système et de son financement s'est traduite par l'instauration d'une caisse unique de sécurité sociale et d'une cotisation sociale unique, qui ont renvoyé à la perspective d'un plan complet de sécurité sociale dépassant l'action des caisses mutualistes et de leurs modes de financement.

Quant à tirer des profits capitalistes la source de financement de la sécurité sociale, elle a justifié la cotisation sociale comme mode de prélèvement, plutôt que l'impôt, et donc la construction d'une universalité de la sécurité sociale à partir du travailleur, et non du citoyen comme le posait in initialement le programme du CNR, afin d'élargir le champ de la démocratie et de l'intervention politique aux travailleurs eux-mêmes, en leur donnant notamment un pouvoir électif sur leurs représentants dans le conseil d'administration de la caisse de sécurité sociale. Au final, cette nouvelle construction sociale révolutionnaire permettait de reprendre à son compte le principe communiste : « chacun reçoit selon ses besoins et contribue selon ses moyens ».

Écarté de l'élaboration pour cause de collaborationnisme actif avec l'occupant, la patronat s'est néanmoins immédiatement opposé à l'ambition de cette sécurité sociale. Il l'a fait par des canaux parallèles comme le refus du monde mutualiste, principalement aux mains du patronat à l'époque, d'abandonner ses prérogatives, ou en s'appuyant sur des positions conservatrices parfois anti-ouvrières ou anti-communistes illustrées dans le rejet d'une couverture universelle par la sécurité sociale des professions libérales et artisans, du monde paysan du dispositif, voire des fonctionnaires. Reste que la force du parti communiste et de la CGT en 1945, A. Croizat incarnant les deux, ont permis de dépasser les freins. Ce qui n'a cependant pas été exempt de luttes.

Pour autant, si la sécurité sociale a été progressivement mise en place, et cela malgré l'éviction dès 1947 des Ministres communistes du gouvernement, avec une réelle plus-value et efficacité dans la reconstruction de l'économie nationale, le patronat s'y est opposé avec constance (dès 1951 en demandant un déremboursement des médicaments et des prestations sociales parce que le pays n'avait pas les moyens de son ambition …) mais sans réel succès. Et cela jusque 1967 et le rapport Jouanneau, et les ordonnances qui ont suivi, introduisant non seulement le paritarisme dans la représentativité des Conseils d'administration, mais aussi éclatant administratif et comptable de la caisse unique de sécurité sociale en plusieurs branches.

Or si cette date marque la première grande victoire du patronat sur la sécurité sociale et sa reprise en main, elle marque aussi la période d'entrée en crise du système capitaliste, 1967-1968 illustrent les premières années du ralentissement de la croissance du taux de profit global.

Une crise économique qui va progressivement peser sur les comptes de la sécurité sociale, à la fois, par la montée du chômage, de la flexibilisation salariale et d'emploi, et par la réponse capitaliste à la baisse du taux de profit : la financiarisation de l'économie, accroissant la part des profits financiers dans les profits des entreprises. Les deux mouvements s'alimentant l'un l'autre, au point de construire un déficit structurel de la sécurité sociale qui sert aujourd'hui d'argument au démantèlement progressif de la sécurité sociale. Autant par une réduction de l'offre de prise en charge socialisée que par une modification des sources de financement (baisse des prélèvements sur les profits (part des cotisations sociales patronales) et hausse des prélèvements fiscaux (ITAF et CSG) essentiellement sur les ménages).

Ces attaques récurrentes contre la sécurité sociale et ses finalités, inscrites dans le cadre plus global des politiques d'austérité, des atteintes massives contre les services publics et la réponse nationale comme locale aux besoins des populations, mais aussi des attaques contre les droits sociaux et du travail, telle que l'incarne la politique Hollande-Valls aujourd'hui, obligent à reprendre le chantier d'une sécurité sociale d'un nouveau type, dépassant celle qui fût créée en 1945, mais conservant l'esprit novateur et profondément révolutionnaire de ses concepteurs.

Le Medef, la droite et les socio-libéraux veulent nous faire croire que nous n'aurions plus les moyens de notre solidarité, qu'avec la crise il faudrait réduire la voilure solidaire. C'est tout le contraire, les créateurs de la sécurité sociale l'ont démontré ! Pour sortir de la crise, il faut plus de dépenses sociales et de solidarité, parce qu'elles sont porteuses d'une plus grande efficacité sociale. Mais cela suppose de prendre le contre-pieds de la logique du capital financier qui siphonne les ressources de la solidarité et du développement des capacités humaines pour financer les profits.

Nos propositions s'inscrivent dans cette philosophie. A partir d'une réforme d'ensemble du financement de la Sécurité sociale, elle se donne pour finalité une nouvelle efficacité économique et sociale, qui réponde aux besoins sociaux actuels et à venir tout en ouvrant la voie d'une sortie de la crise systémique que nous vivons.

Tandis que loi de financement de après loi de financement la réduction de la dépense socialisée pour faire face aux déficits de la sécurité sociale est encouragée (et le PLFSS 2016 n'y déroge pas), aucune mesure structurelle n'est engagée pour répondre au ralentissement des recettes assises sur la masse salariale.

Or les déficits structurels de la sécurité sociale ne s'expliquent pas par des dépenses excessives. Ils sont la conséquence d'un manque à gagner considérable du côté des recettes imputable à ce ralentissement de la masse salariale, lui-même conséquence directe de la montée du chômage, de la précarisation de l'emploi, revendiqué au nom de la baisse du coût du travail et de la financiarisation des gestions d'entreprise. Le taux de croissance de la masse salariale était de 6 % en 1999 (4 % en moyenne annuelle de 1999 à 2009). Il plafonne désormais à 1,2 %. C'est une perte globale de recettes potentielles pour la Sécurité sociale de plusieurs dizaines de milliards d'euros.

Cette pression sur la masse salariale, que le gouvernement reprend à son compte au nom de la baisse du coût du travail et qui s'incarne dans la Pacte de responsabilité, répond clairement aux objectifs de financiarisation des gestions d'entreprises. Non seulement elle accélère le transfert opéré sur les 30 dernières années de la part de la richesse produite destinée aux travailleurs et à leur famille vers la rémunération des profits ; la part des profits dans la valeur ajoutée s'est accrue de 7 points et celle des salaires s'est réduite d'autant. Mais surtout, elle accentue la logique de financiarisation des gestions d'entreprise qui se traduit par le fait que leurs profits proviennent des profits financiers et non de leur activité elle-même.

Des profits financiers qui ne contribuent pas au financement de la protection sociale. Pire, ils se développent contre la croissance réelle, contre l'emploi et les salaires, et donc contre le besoin de recettes nouvelles de la Sécurité sociale.

Véritable cancer de l'économie, ces revenus financiers bruts des entreprises, qui sont aussi le coût du capital qu'elles paient, doivent pouvoir être mis à contribution pour le financement de la Sécurité sociale. Selon les comptes de la Nation (base 2010), ils représentent en 2013 pas moins de 236,2 Mds d'euros pour les sociétés non financières et 90,1 Mds d'euros pour les institutions financières. Soit un total de 326,3 Mds d'euros prélevés sur l'économie au bénéfice des actionnaires et de la finance qui représente 28,1 % de la valeur ajoutée et ne contribue que très marginalement au financement de la Sécurité sociale.

S'ils étaient soumis aux taux actuels des cotisations employeurs pour chaque branche, ces revenus financiers pourraient générer 87,45 Mds d'euros de recettes supplémentaires pour la Sécurité sociale. Cette contribution nouvelle, qui dépasse largement les besoins de financements actuels des organismes sociaux, permettrait alors de mener une politique sociale active répondant véritablement aux besoins actuels de la population mais aussi à venir (sanitaire, vieillissement, dépendance, petite enfance, …).

D'autre part, sa nature même permettrait d'engager un processus de réduction de la CSG aujourd'hui prélevée uniquement sur les ménages. Ce qui rééquilibrerait les sources de contribution fiscale au financement de la Sécurité sociale (revenus d'activité des ménages / revenus financiers des entreprises).

Mais plus encore, en rendant moins attractifs les revenus financiers des entreprises, cette cotisation sociale additionnelle permettrait d'engager le combat contre la spéculation en poussant la réorientation de l'activité économique et les gestions d'entreprise vers la production de richesse réelle. Ainsi, loin d'en faire une source de financement pérenne, ce prélèvement fiscal aurait vocation à s'éteindre dans la durée faute de base fiscale de prélèvement.

C'est pourquoi, parallèlement, il serait nécessaire de la combiner avec l'institution d'un dispositif de modulation des cotisations sociales employeurs en fonction de leurs politiques salariales et d'emplois. L'idée est simple et efficace. Dans un mouvement général de hausse progressive des cotisations sociales patronales, il s'agirait de moduler le taux de cotisation sociale patronale de chaque entreprise en fonction de l'écart entre son rapport « masse salariale/valeur ajoutée » et celui moyen de sa branche d'activité. Plus une entreprise accroît sa valeur ajoutée en faisant des économies sur l'emploi et les salaires et en développant ses revenus financiers, c'est-à-dire plus l'écart à la pratique de sa branche est élevée, et plus elle serait soumise à des taux de cotisations patronales élevés. A l'inverse, plus l'entreprise adopte une stratégie de gestion vertueuse à l'égard de l'emploi et des salaires par rapport aux pratiques de sa branche, et en proportion moins ses taux de cotisations sociales seraient élevés.

La logique de ce nouveau dispositif est fondamentale et ne se résume pas à la récompense des vertueux. En dissuadant ainsi la course à la croissance financière, aux économies massives sur l'emploi et les salaires, il s'agit avant tout de responsabiliser socialement et solidairement les entreprises face au développement de l'emploi, des qualifications et des salaires, pour enclencher un nouveau type de croissance centré sur le développement de la ressource humaine. Il s'agit d'engager le combat contre les critères de gestion des entreprises tournés essentiellement vers la rentabilité financière immédiate et d'opposer des critères de gestion assis sur le développement des capacités humaines.

Inciter à la croissance réelle à partir du développement de l'emploi, des salaires, de la formation, en bref de l'accroissement du rapport masse salariale/ valeur ajoutée, c'est la condition d'un réel « gagnant-gagnant » pour la sécurité sociale et les assurés sociaux comme pour l'entreprise.

Pour la Sécurité sociale, ce dispositif permettrait de renouer avec la croissance régulière et importante de ressources de cotisations sociales patronales qui n'ont cessé de se réduire depuis le début des années 90. Pour les assurés sociaux, l'arrivée de nouvelles cotisations patronales permettrait de réduire relativement leur contribution qui a compensé le retrait de la contribution employeur. Ces ressources dynamiques supplémentaires permettraient aussi de mettre fin à la réduction systématique du niveau de la prise en charge socialisée.

Pour les entreprises enfin, le développement de l'emploi, des salaires et des qualifications pour développer les ressources de cotisation sociales de la sécurité sociale permettrait, d'une part, d'augmenter le revenu disponible des ménages, et donc d'accroître la demande intérieure et le potentiel de débouchés, qui leur fait cruellement défaut aujourd'hui pour causes justement de politiques d'austérité et de politiques d'entreprises contre l'emploi et les salaires ! D'autre part, cette dépense sociale accrue et dynamisée des entreprises constituerait globalement un moteur d'accroissement de la productivité du travail et donc un facteur de nouvelle croissance.

Alors que sous la baguette du Medef, le gouvernement Hollande et la droite poussent les feux d'une remise en cause fondamentale de notre modèle social, on mesure l'ampleur de la lutte à mener. Mais nous n'avons pas le choix. Face à une cohérence régressive qui semble implacable, si nous voulons à la fois sauver la sécurité sociale et aller au-delà de ce qu'elle a été, nous avons besoin de formuler une contre-cohérence offensive de progrès et rassembleuse, et d'organiser la lutte en ce sens. Ce 70ème anniversaire de la création de la sécurité sociale doit être utilisé par le rappeler.

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Soirée du 2 octobre pour les 70 ans de la Sécurité sociale - intervention de Frédéric Rauch, rédacteur en chef de la revue Economie et Politique

le 24 octobre 2015

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